Le puits du fou
Débutons sur de bonnes bases avec, comme d’habitude, un petit résumé que vous voilà :
Jusqu’où un père est-il prêt à aller pour rendre justice ? Un amour inconditionnel. Une vengeance machiavélique. Sur le papier, rien de plus banal. Depuis la nuit des temps, ce sont deux lieux communs de la littérature. Pourtant, un amour aussi profond et une vengeance aussi abyssale, vous n’en avez jamais vu. Et il se pourrait bien que, jusqu’à son dénouement, l’histoire effrénée de Marc-Olivier Novak vous rende complètement fou…Qui tombe dans un puits n’en ressort jamais indemne.
Vous l’aurez compris sans que j’ai besoin d’y revenir, on a là une histoire de vengeance. Le dernier livre que j’ai lu concernant ce thème (Plus rien à perdre) relativement souvent traité m’a vraiment plu de par son originalité. Je croyais en ouvrant Le puits du fou que ça allait faire doublon, mais il tenait plus en place dans la PAL, alors…
Alors rien à voir. Ici, nous avons un vengeance, c’est bien vrai, mais elle est exprimée de façon machiavélique, réfléchie, étudiée… Ici, nous avons un plan établi, qui s’est forgé pendant plusieurs années, qui a été jusqu’à bouffer et recracher le cerveau de notre protagoniste, Marco. Marco, c’est un type bien, un type somme toute banal, marié, un enfant. Tout bascule le jour où le petit meurt, percuté par un chauffard. L’affaire est classée, le fautif en prison, mais le verdict ne semble pas assez salé. Pendant les 15 ans d’emprisonnement du tueur, Marco ruminera, autant dire que ça laisse de la place à la réflexion et à la mise en place.
Du coup, comment ça se passe ? On a une construction de récit intéressante. Elle passe du Marco actuel, aigri, rongé par la peine et la colère, meurtri par la mort de son fils, qui laisse aller ses émotions de sorte qu’il en oublie tout le reste, il en oublie même de vivre. Esseulé, il va tout mettre en œuvre pour mettre au point sa vengeance, la seule chose qui le maintient à peu près sur des rails. Cette volonté de revenir en arrière étant un mythe, il choisit d’aller de l’avant, dans le seul but de faire payer le prix fort à l’assassin. On revient au fil des chapitre sur l’autre Marco, l’ancien, celui qui avait une famille aimante, un fils qui le comblait, des amis avec qui il faisait tout un tas de choses tout en étant apprécié de ses collègues. Comme quoi, la mort d’un être cher provoque celle de l’âme et Marco va être l’acteur de cette déchéance.
En parallèle, nous aurons aussi l’étude des autres personnages qui interviennent bon gré mal gré dans l’intrigue : la femme de Marco, certaines de ses connaissances, son ennemi juré… Toutes ces tranches de vie vont se croiser, s’entremêler. Bien évidemment, certains resteront des personnages secondaires, donc leur caractère sera moins creusé, mais l’ensemble des personnages est assez clair, fluide et bien traité.
Comment ? Alors pour Marco, je me suis fait peur à plusieurs reprises en me disant « purée, ce mec, c’est moi » (avec quelques attributs en moins, je concède), je n’ai eu aucun mal à m’identifier à ce protagoniste. Que ce soit dans sa personnalité « gai luron » ou dans son cynisme dû au mutisme, à l’enfermement de ses émotions… je nous ai trouvé beaucoup de ressemblances et ai donc foncé tête baissée dans son histoire. Pour le reste des personnages, même si la projection (pour ma part) était moins intense, l’empathie envers chacun fera qu’on s’y attache. Qu’on les déteste ou qu’on les aime, on trouvera toujours un moyen de les comprendre, de les ressentir… C’est d’ailleurs assez surprenant. On finit par se demander qui est « méchant », qui est « gentil » et surtout, où se trouve la frontière entre les deux. Celui qui fait le mal pour les « bonnes raisons »… la capacité à faire justice soi-même… Accepter de faire preuve de cruauté pour un objectif qu’on se fait nôtre… Tout plein de choses viennent ici s’opposer et, sans se poser réellement de questions, on avance aux côtés de Marco dans le seul et unique but de vouloir retrouver la paix, quel qu’en soit le prix. On est alors sur le fil, tout le long de ce livre, celui d’être du côté d’un tueur (parce qu’on est d’accord que quelqu’un qui met tout en œuvre pour tuer une autre personne, c’est un tueur…) tout en étant persuadé d’être du bon côté. Nous voilà donc ballottés entre faux semblants, entre colère et pitié, entre amour profond et soif de vengeance… en équilibre. Il faut dès lors être sûr de respecter cet équilibre pour ne pas sombrer.
Ici, c’est ce que l’auteur a su insuffler dans son récit : l’équilibre. Nous avons un homme bouffé, mais qui saura en temps et en heure se rendre compte de ses erreurs ou des propos tendancieux qu’il a pu avoir. Un homme qui, malgré la douleur, est capable de ce remettre en question. Un homme encore qui, malgré sa soif de vengeance et son envie de justice va rester humain tant dans ses actes que dans son plan. La question est… va-t-il devenir fou ?
L’écriture est fluide, les mots incisifs, les phrases percutantes et des dialogues qui font sens. Nous avons là une véritable aventure qui met nos nerfs en pelote, des personnages intelligents et réfléchis, creusés et déroutants. Il faut dire que pour tenir un huis-clos en haleine de la sorte, il vaut mieux qu’il soit doué, l’écrivain 😉
L’enfermement est un thème qui a été vu, revu et re-revu (histoire d’être sûr), mais ici, nous l’avons qui est traité d’une façon extrême : enfermement sur soi suite à une tragédie, l’enfermement de l’autre… une claustration à double tranchant qui se veut dévastatrice dans tous les sens du terme. C’est une sorte de folie, qui commence par prendre aux tripes avant de s’enfermer dans le cerveau. Tout ici est très bien expliqué, non par par des apartés lourds, mais par l’introspection des personnages eux-mêmes. Ça rend le récit assez fin et donne envie de comprendre chacun des partis. Ah oui, attendez-vous à être souvent enfermé dans la tête des gens… Je vous ai déjà dit que j’avais trouvé ça déroutant ? 🙂
Au milieu de tout ce joyeux merdier (non non, j’ai beau chercher, je ne trouve pas d’autres mots), l’auteur nous fait part de réflexions sur d’autres sujets : la discrimination (et ce qui a pu l’entraîner), les effets du mutisme sur l’entourage, le deuil et ses différentes façon de le vivre, l’acceptation de la mort… plusieurs choses sont ici répertoriées, tantôt traitées avec minutie, tantôt survolées, mais toujours mises en place de façon claire pour nous donner, malgré tout, une vision plutôt optimiste sur la vie. Certains aspects politiques ont été vus, de façon légère et intelligentes, comme pour donner un peu plus de poids au récits et aux personnes qui le composent.
Ne vous laissez pas berner par la « longueur » du prologue en revanche, un véritable monologue qui vous entraîne dans la tête de Marco et montre l’importance de ses ressentis.
S’il y avait dans tout ça un point noir, et un seul… ce serait pour ma part la redondance dans la morale, parce que oui, il y en a une et on ne peut pas passer à côté 😉
Non pas que cette dernière me dérange, bien loin de là, mais il est vrai qu’elle se fait ressentir un peu fort. Elle n’est ni sinueuse ni sournoise, on la prend en pleine tronche. Maintenant, je la trouve belle et vais complètement en son sens, alors ça ne me dérange pas et puis… quand on a vécu les dernières heures plongé dans un bouquin aussi glauque, un peu de blancheur, ça fait du bien 😉
Du coup, j’en retiendrai une écriture soignée, des personnages travaillés et creusés, une intrigue originale (malgré un thème qui l’est moins), des rebondissements présents, un huis-clos prenant et une chute qui fait réfléchir… Bref, beaucoup de bon ! De là à ce que je creuse un puits dans mon garage, il n’y a qu’un pas… Devrais-je remercier l’auteur pour ça ? Je ne crois pas… 🙂
En revanche, je le remercie pour ce bon moment de lecture, un ouvrage que je n’ai pu lâcher que difficilement pour me sustenter 😉
Je conseille vivement à tous les lecteurs qui veulent du psychologique sans gore, qui veulent des retournements de situations inattendus sans être capillotractés, à ceux qui ont envie de se faire prendre au piège sans finir captif… Bref, à beaucoup de monde ! 🙂
Quitte à devoir rester chez vous de bonne heure, autant plonger dans les abîmes du puits 🙂
Bonnes lectures à tous !