Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang
Je viens parler ici d’un roman redoutable dans le fond comme dans la forme. Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang est un mélange des genres, un cri de douleur lancé contre des principes aujourd’hui encore présents de l’homophobie. Alors voilà, les 540 pages de ce livre se dévorent littéralement. Avant toute chose, vous voilà un résumé :
Au cœur de l’hiver 2017, quatre ans après les débats sur le projet de loi « Mariage pour Tous », plusieurs couples d’hommes sont retrouvés morts en petite couronne de Paris. Sur les scènes de crime, la signature marque les esprits : entre les corps des victimes sont retrouvés des triangles de tissu, roses comme le symbole de la persécution des homosexuels sous le IIIème Reich.
Pour l’équipe de Maël Néraudeau et Yohann Folembray, lieutenants à la Section criminelle du SDPJ 94 et partenaires à la ville comme à la scène, le compte à rebours est lancé. Le mot d’ordre est sur toutes les lèvres, y compris celles de la presse : mettre la main sur l’assassin et enrayer la vague de folie meurtrière. Mais face à un criminel aussi obscur qu’imprévisible, les enquêteurs se retrouvent désarmés, et ce malgré l’appui d’un capitaine de la Brigade des crimes sériels de l’OCRVP venu se greffer à la section pour les assister. Le sadisme du meurtrier se révèle alors sans limite lorsque l’affaire prend un virage dramatique pour les deux coéquipiers et amants. Entre les plaies endormies qui se réveillent et la colère qui les déchire, affectant l’équilibre du groupe, le terrain est plus libre que jamais pour le Tueur au Triangle Rose, qui profite de la diversion pour passer à la vitesse supérieure et parachever son acte final…
C’est de façon engagée que l’autrice nous emmène. Elle nous prend par la main, et dès la première page, nous plonge au sein du couple de policiers que forment Maël et Yohann. Les deux protagonistes qui nous mêlent rapidement à leur vie personnelle comme professionnelle nous démontrent que la différence ne pose pas de problème conséquent dans un binôme : l’un est dynamique, franc et cynique, tandis que l’autre est plutôt réservé, rangé et atteint de TOC. On apprend au fil du récit qui sont ces deux hommes, et comment ils en sont arrivés là. Comment leur rencontre, qui l’air de rien a été compliquée, va avancer dans une belle histoire, mais aussi pourquoi l’un s’assume plus que l’autre… Des choses qui semblent anodines pour certains, mais qui aujourd’hui encore, amènent des questions qui ne devraient plus se poser. Cette connaissance des protagonistes se fait sous forme de flashbacks, des remontées dans le temps qui sont indispensables à l’avancée des caractères. Pourquoi ? Parce que ces hommes sont entiers, ils sont décrits de façon à ne rien épargner, ni le bon, ni le mauvais : il n’y a pas blanc et noir, ici, tout est gris.
Là où l’autrice a fait une petite merveille, c’est qu’elle a su enlever toute ressemblance à un cliché. Il n’y a pas de surjeu, nous avons un homme qui en aime un autre, sans qu’on ne puisse le deviner si ça ne nous avait pas été annoncé (bah oui, c’est quand même une grosse partie de l’histoire 😉 )
Donc on a, comme le veut le style du roman, des victimes et des bourreaux. Sauf qu’ici, nous avons une étude précise de chaque personnage, aucun n’est laissé au hasard, AUCUN ! Du coup, bien évidemment que la bienveillance et la compassion vont aux victimes… mais pas que, en un sens en tout cas…
En quel sens me direz-vous ? Comme je le mentionnais plus haut, l’autrice a fait un travail remarquable sur ses personnages, qui sont bons, mauvais, entre deux. Il n’y a aucun secret et tout s’explique : même le pire. Quand la vie fait des siennes et que les épreuves semblent insurmontables, surtout quand on est jeune, on a tendance à tomber dans la vengeance, dans la haine de l’autre. Cette haine, ne sachant pas précisément mettre le doigt dessus, on la dirige souvent vers une cible (elle-même souvent facile et parfois injustifiée) qui peut être n’importe quel prétexte qui nous tombe sous la main : un genre, un sexe, une « race »… cette cible là, avec un peu de mauvaise foi, de rancœur… on arrive souvent à la légitimer, lui trouver une logique. Et notre méchant, c’est ça son souci. Une fois cette logique ancrée, on a enfin une bonne raison d’expulser sa rage, sa colère ou encore sa violence qui ramène l’Homme à son état primaire, justifiant tout et n’importe quoi pour perdre la culpabilité.
On vacille donc toujours entre compassion pour ce qu’il lui arrive et haine pour ce qu’il est. Le tout envers un personnage qui, après avoir pris du recul sur sa psychopathie, apparaît pourtant abject.
Entre éducation, passif, tradition et entêtement, l’être humain à lui seul n’est pas en mesure de faire la part des choses sur un événement qui le dépasse. Alors, là où certains recherchent un dieu, d’autres cherchent un exutoire. La nature humaine est ainsi faite. C’est donc quelqu’un de cynique et extrêmement machiavélique à qui nous avons affaire ici.
L’étau se resserre, la fin justifie les moyens, même les bons perdent pied et tout se mélange ! Vous trouverez donc une histoire hors norme avec des protagonistes qui du coup le sont moins : des hommes, voilà ce que nous suivons du début à la fin. Parfois avec tendresse, parfois avec dégoût. L’autrice manie à la perfection le bon et le mauvais qui nous composent.
On est alors ici entre le polar (enquête), le thriller (switch et suspense, situations prenantes…) et le roman noir (celui qui ouvre son intrigue sur le monde, sur des faits de société). On aura en fil rouge l’homophobie mais aussi des thèmes sous-jacents qui ne sont pas laissés de coté, comme la trahison, la vengeance, un peu d’histoire, mais aussi beaucoup d’amour. Le tout, sans pathos, de vraies émotions qui ne tombent pas à plat et de la reconnaissance. Sans être obséquieux, ce livre est un rappel à l’urgence et au respect ! L’autrice montre alors avec brio que la différence n’est pas une tare et que l’homosexualité n’est pas une anomalie.
Une jeune femme perfectionniste dans le style et la forme, qui utilise des mots chocs pour parler d’un contexte toujours d’actualité et sur le fil du rasoir. Le bon mot au bon moment, un choix percutant pour une fluidité bien présente. C’est au milieu de tout ça que nous trouvons une pincée de retournements de situations, qui n’est ni trop, ni pas assez : le dosage est parfait. Posés de-ci de-là, ces derniers sont lâchés avec parcimonie et intelligence. Le résultat ? On ne s’ennuie pas.
Un sujet maîtrisé, une intrigue originale qui nous plonge dans les méandres de certaines idées, un concept intelligent raconté avec intégrité. Une ode à la différence sans exagération… Une vraie pépite.
Un grand merci à l’autrice qui m’a permis de rentrer dans son univers. Fière de cette découverte, je vous la recommande et attends la suite avec impatience !
Bonne lecture à tous ! 🙂
Vous pourrez facilement le feuilletez ou le trouver par ici :
5 réponses sur « Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang »
Merci encore pour cette superbe chronique écrite au cordeau, Véronique… Quel sens de l’analyse et du détail, on se demande qui devrait écrire un roman ! 😉
rhooooo, un jour 😉
Il faut ! 😀
Et dire que j’étais partie sur la maltraitance conjugale… Faut que je me motive 😉
Oh oui 😍